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Lettre

Émois des mois

Très chère,

Étant sans nouvelles depuis quelques temps, je te suppose engouffrée dans une tortueuse quête intérieure. La mienne n’a pas atteint le point où tout s’éclaircit, mais j’en suis à pousser le wagon hors des mines de mes ruminations. Il sortira par la force s’il le faut.

Comment savoir que le fruit est mûr? N’en sommes-nous pas toujours à observer avec effet retard ce qui s’est déjà achevé? Y a-t-il une force mystérieuse qui me souffle d’accoucher, ou est-ce la lassitude de porter cette genèse qui me fait pousser avant l’heure?

Si pour moi les origines sont relativement balisées, elles n’en sont pas forcément apaisées. Les secrets et les non-achevés continuent toujours de nous rendre visite, même quand on les avait consciemment oubliés. Les racines peuvent nous alourdir telle une bûche, si trop peu de soin a été mis à les garder en vie.

C’est du côté de mes identités choisies que la confusion règne. En témoigne la page de ma vitrine professionnelle en éternel chantier, bloquée en synchronique avec le muscle raide de ma nuque droite.

Comme je rêve d’un bureau avec une porte et mon nom dessus ! Et sous mon nom, en lettres d’imprimerie, un beau titre bien concis, franc du collier.

De cette hésitation je ne sais qu’en déduire. Je me plais à penser que si je ne veux pas qu’on me trouve, c’est que j’ai peur de me trouver.

Tes lumières me seraient bienvenues, si toutefois il s’en trouve dans l’endroit où tu marches.

Bien affectueusement,

A.