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Lettre

Gantelet, gouttelettes

Lumineuse Ambre entre chienne et louve. Tu couves ton petit feu, c’est bien ce qu’il faut quand on manque de combustible et qu’on n’a que ce petit grésillement entre nous et la froide hostilité du dehors.

J’ai pour ma part tenté une autre approche pour me reconnecter au feu sacré, celui qui m’habitait quand j’ai fait le vœux d’être visible. De cette réalité que j’ai souhaité manifester avec tant de conviction il y a plusieurs années, j’en ai encore l’image nette. Je me vois souriante sur une scène, débordante d’énergie, communiant avec le public dans l’euphorie et les applaudissements, dans la grâce des instants au-delà des mots.

À l’époque où cette image m’apparaissait, je m’en souviens, j’ai vu la montagne à gravir. J’ai vu que le chemin qui y menait se perdait dans les nuages. Il faudrait payer à nouveau le prix de la visite aux esprits malins, il faudrait entrer dans la brume et accepter d’errer. La guerrière d’alors, emplie de la certitude des vainqueurs, y voyait la promesse d’une aventure.

J’y ai sauté à pieds joints dans ce nuage, du haut de mes baskets magiques. L’amour chevillé au corps, la cape flambante, le menton haut et l’œil fringuant.

Mais dans les brumes, point de glorieuse conquête. Avec pour seul horizon les perles du doute suspendues dans l’air, je ne vois que le rictus de mon propre ennemi, en reflet infini dans les vapeurs insaisissables. Je cours, je cours, sans savoir si je monte ou descend, si j’avance ou recule, en boucle sans rétroaction. La panique cède au désespoir.

C’est ainsi qu’une voix lointaine me trouve, sanglotant sur un rocher glissant, résignée à la réalité de mon égarement.

Alors je me lève. Fermant les yeux, je marche sans plus songer au sol ni au ciel, suspendue cette voix qui me dit : “Viens à moi !” À bout d’énergie, c’est un ressort du fond des âges qui me propulse et balaie toute discussion. Je jette mes vêtements trempés, ma cape profanée par les diablotins, mes bottes de sept lieux. Nue dans la brume ma peau se réchauffe et moi aussi je crée ma vapeur, et l’eau ruisselle sur moi comme une rivière.

J’ignore combien de temps encore je marche sans regarder. Je sais qu’à un moment j’ai vraiment chaud et que je dois m’arrêter. Enfin mes yeux s’ouvrent sur une prairie d’alpage, bercée de doux rayons dans une mer de nuages. Et apercevant le soleil, je me rends compte que j’étais en train de chanter.

A.